6 mai 2020

Valeur humaine de l'innovation

Hélène Colinet, Zoé Néron-Bancel et Sylvain Poisson, membres de l'Association des Conseils en Innovation, vous présentent les enjeux et les apports de la valeur humaine de l'innovation.

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L’innovation est étroitement liée à la transformation des organisations : c’est un sujet ardu auquel de nombreux acteurs devront faire face.  Aujourd’hui plus que jamais, la valeur humaine de l’innovation se trouve au cœur de nos plus grands enjeux transformationnels, comme les enjeux climatiques, sanitaires, sociétaux ou encore générationnels, mais aussi scientifiques et technologiques. Notre défi à nous, sociétés de conseil en innovation, est de comprendre comment cette dimension humaine de l’innovation peut se matérialiser au sein d’une démarche ou d’une politique d’innovation. C’est bien sûr un terrain de discussion qui peut tendre vers des débats philosophiques, nous essayons donc ici de donner un périmètre à cette valeur humaine de l’innovation et de la contextualiser au sein d’une organisation publique ou privée.

A quoi correspond la valeur humaine de l’innovation et comment se matérialise-t-elle ?

Tout d’abord la valeur humaine se caractérise par ce qui est ressenti et partagé par l’Homme. Si l’on applique le concept de valeur humaine à l’innovation, nous pouvons alors étudier l’impact de l’innovation sur toute sa chaîne de valeur. Cette chaîne s’étendrait de la création de l’innovation jusqu’à sa mise sur le marché et utilisation en passant par son développement et industrialisation. En effet, une innovation peut avoir un impact différent sur l’Homme en fonction de sa position dans la Société en tant que créateur, utilisateur ou membre de l’écosystème qui gravite autour. Quelques illustrations :

  • A l’échelle du créateur, qui comme l’artiste ou l’artisan est sujet à une satisfaction du travail réalisé, ceci se traduit en épanouissement personnel et la naissance « d’éclaireurs » ou de « visionnaires » dans leur domaine d’activité, tels que ces nombreux entrepreneurs se lançant dans des défis. Un exemple parmi tant d’autres est Aldebaran Robotics et la fierté de Bruno Maisonnier à présenter “Nao” qui a marqué la robotique moderne[1].
  • A l’échelle de l’utilisateur, une innovation peut par exemple améliorer sa qualité de vie. L’application YUKA apporte des informations lui permettant de consommer plus sainement ou a minima d’être informé sur la qualité des produits qu’il achète (i.e. distinguer les produits transformés néfastes de ceux « bons pour la santé »).
  • A l’échelle de l’écosystème, réunissant la somme des personnes physiques et morales impactées de facto par l’innovation. L’innovation est source de changements et est souvent vue comme un vecteur de progrès (procédés plus performants, nouveaux produits sur le marché) mais qui peut aussi engendrer des dommages collatéraux importants (suppression d’emplois, faillites d’entreprises). L’Internet a par exemple un impact humainement extrêmement positif (accès au savoir ou à l’information) mais il s’avère également que c’est un moyen d’espionnage ou encore de propagation d’informations néfastes.

Nous comprenons rapidement que la notion de valeur humaine a alors un contraire également très médiatisé qui est la valeur inhumaine de l’innovation. En 1942, l’économiste Autrichien Joseph Schumpeter écrivait déjà que l’innovation est une « destruction créatrice »[2] notion qui soutient que les entrepreneurs créent des innovations qui détruisent l’offre traditionnelle en la rendant obsolète. Si l’on poursuit ce raisonnement, des phénomènes de « grappes d’innovation »[3] peuvent avoir des impacts planétaires. Les sciences sociales ont étudié à plusieurs reprises ces phénomènes et analysé plus généralement l’innovation et ses conséquences. Il en résulte néanmoins que majoritairement l’innovation conserve une image positive aux yeux des Hommes et de la Société[4].

Comment peut-on alors intégrer la valeur humaine de l’innovation dans l’entreprise ?

Intégrer la valeur humaine de l’innovation dans l'entreprise nécessite une forte action d’introspection, destinée à aller chercher les valeurs spécifiques de l’entreprise, bien sûr en adéquation avec la stratégie globale. Il est important d’avoir conscience que la valeur humaine de l’innovation dans une entreprise impacte avant tout ceux qui facilitent et qui insufflent l’innovation. De nombreux facteurs entrent en jeu : le secteur d'activité, le profil des salariés, l’organisation du travail ou encore la vision et les ambitions de la direction. Par exemple, une entreprise par nature innovante aura une valeur humaine de l’innovation partagée entre quasiment tous les salariés. A l’inverse, une entreprise peu innovante - type production, verra une valeur humaine de l’innovation reportée sur une équipe réduite, comme un bureau d’études par exemple. La génération de valeur d’innovation ne sera pas la même tout comme les rôles de chacun pour y parvenir. Il s’agit donc de responsabilisation des bons acteurs de l’entreprise pour générer une valeur humaine compatible avec la stratégie de l’entreprise.

Or, si la capacité d’innovation d’une entreprise, donc de génération de valeur d’innovation, repose sur ses produits et son marché, comme sur les assets qu’elle peut mobiliser pour innover, c’est avant tout le capital humain dont elle dispose qui va influencer ses résultats. Ainsi, un portefeuille de brevets à faire pâlir ou des locaux biens équipés, ne vaudront rien s’ils ne sont pas utilisés et valorisés par les collaborateurs ou s’ils ne répondent pas à une stratégie mûrie. Maintenir, sinon hausser la valeur humaine de l’innovation va devenir déterminant. Cela passe par l’installation et la diffusion d’une culture d’innovation. En effet, on peut envisager la culture comme étant un des véhicules qui porte nos valeurs humaines au sein de l’organisation.

Mettre en place cette culture, sur toute sa chaîne de valeur d’innovation, de la création de savoir au marché, pour l’interne comme pour l’externe, demande d’abord un effort d’introspection afin de comprendre la culture existante de l’entreprise et si celle-ci présente des freins ou des inhibiteurs à l’innovation, et de comprendre les processus, les jeux, biais, etc.

Cette démarche d’introduction de culture d’innovation permettra de réconcilier les aspirations des créateurs, qui sont ici les collaborateurs de l’entreprise, des utilisateurs, soient les “clients” internes comme externes, et des tierces parties prenantes qui peuvent être les investisseurs, partenaires, ou encore les concurrents. C’est sur cette définition d’une culture “cible” commune que se fondera un alignement nécessaire, compris et accepté. La construction des processus ou la sélection d’outils interviendront dans un second temps.

Pour les structures que nous accompagnons dans leur génération de la valeur par l’innovation, nous nous attachons donc à aligner culture, et stratégie, en intégrant la valeur humaine de l’innovation, sur tout la chaîne de cette valeur, et de créer de solides appuis pour construire process et organisation, opérant la création de valeur.

 

[1] Les echos 06 2016 Benoit Georges https://www.lesechos.fr/2016/06/aldebaran-letoile-filante-de-la-french-tech-1111519

[2] https://www.cairn.info/revue-management-2013-3-page-204.htm

[3] http://centaur.reading.ac.uk/27212/

[4] https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2005-2-page-13.htm#